"Bonjour à toutes et à tous,
Je m'appelle Jean Claude Zabalia, né dans l'Aude, Héraultais depuis 1992 et Piscenois depuis 2004. Ma carrière dans le vin a débuté dans les Hautes Corbières en 1981 et elle s'est poursuivie toujours en Languedoc jusqu'à ma retraite en 2023. Je suis très attaché à ma région.
Mais je lui ai fait une petite infidélité, en acceptant d'aider à développer un vignoble au Brésil dans une région nouvelle et à priori difficile pour créer et produire des vins de qualité. Le cahier des charges, comme on dit, était de produire un vin, des vins avec un ADN Français, d'où la recherche pour cette famille Penteado, bi-nationale (française par la mère et brésilienne par le père, par ailleurs grand architecte reconnu au Brésil, compagnon de Niemeyer qui a construit Brasilia) d'un français pour les conseiller.
Alors voilà l'histoire de cette aventure.
Tout d'abord une présentation générale du Brésil :
Le Brésil c'est # 205 millions d'habitants sur une surface de 8,5 millions de km2, ce qui représente 50 % du territoire de l'Amérique du Sud. 5ème pays au monde (derrière la Russie, le Canada, les USA et la Chine) mais avec seulement une densité de 25 habitants/km2.
Le Brésil, état fédéral, ce sont 26 états et un District Fédéral, Brasilia la capitale. Une seule langue, le Portugais.
L'état de SP étant le plus important avec 45 millions d'habitants sur seulement 260000 km2.
Le Brésil c'est 16 fois la France.
Le Brésil est la deuxième ressource en eau dans le monde derrière la Chine. Avec une frontière naturelle avec la mer la plus importante du monde (7500 km) suivi par le Chili (4500 km).
Alors si nous comparons, sachant que comparaison n'est pas raison:
- la France 550 000 km2, 68 millions d'habitants.
- la Communauté Européenne: 450 millions d'habitants sur 27 pays et 24 langues officielles.
Bien, venons en maintenant à la vigne et au vin.
Troisième producteur en Amérique du Sud derrière le Chili et l'Argentine, le Brésil est au 18 èmes rang mondial. Le dernier recensement du nombre d'hectares plantés en vigne fait état de # 80000 ha sur lesquels le nombre d'hectares consacrés à élaborer des vins de qualité n'est seulement que de 15 % de cette surface. Le reste: raisins de table, jus de raisin (le Brésil est un très grand consommateur), ou vin de table le plus souvent sucré à base de cépages hybrides.
En comparaison, le Languedoc Roussillon représente 185 000 ha et le Bordelais 230 000 ha, la France quand à elle, 750 000 ha. La totalité en vignoble destiné à élaborer des vins.
Histoire:
Comme dans beaucoup de régions du monde la vigne existait à l'état sauvage. Les Portugais au XVI, les Jésuites Espagnol XVII et les Italiens au XIX l'ont apprivoisé et ont décidé de la cultiver. Et cela dans le sud du Brésil dans l'état de Rio Grande do Sul, à la frontière avec l'Uruguay.
A l'heure actuelle, il n'existe au Brésil qu'une seule Appellation d'Origine Contrôlé selon nos schémas, ceux de l'ancien monde, dans ce même état: Vale do Vinhedos. Anecdote: cette Appellation a été crée, en tout cas, dans son écriture, son cahier des charges, sa délimitation parcellaire, son approbation et son décret... par trois étudiants agronomes de l'école d'ingénieurs de Purpan à Toulouse qui faisaient leur thèse au Brésil et que j'ai coaché sans savoir à l'époque qu'un jour je serais amené à travailler au Brésil.
Le Sud Est, région Sub Tropicale, celle où je travaille comme consultant.
Situé entre la latitude 20 et légèrement au sud du Tropique du Capricorne, cette zone viticole qui va nous intéresser se répartie sur les états de Minas Gérais, SP, Rio de Janeiro, Bahia, Goais et le District Fédéral de Brasilia. Le climat y est chaud et humide, les saisons ne sont pas vraiment marquées, sauf pour la pluviométrie qui se concentre sur la fin du printemps et l'été soit entre fin novembre et février avec des totaux pouvant atteindre # 1500 à 2000 mm par an. En comparaison notre région recevait en moyenne 600 mm par an (sauf ces dernières années hélas où sur quelques zones, notamment le Narbonnais et le littoral audois il n'y a eu que # 250 mm).
La vigne est une liane et, sans saisons marquées (pas de froid, de températures basses ou négatives), sans dormance (perte des feuilles, redescente de la sève dans les racines), elle pousse donc en continu.
En 2001 le Professeur Murillo de Albuquerque Régina, double Docteur en Viticulture, car il a aussi fait un Doctorat à Agro Sup Montpellier, a essayé d'imaginer un process pour contraindre la vigne à se reposer. A l'institut agronomique de Caldas, une petite ville de l'état de Minas Gerais, avec son équipe, il a développé le principe de la double taille "dupla poda" sur des cépages que nous connaissons bien en France, Syrah, Sauvignon, Chardonnay, Cabernet Franc et Sauvignon, Merlot.....
La vigne est taillée deux fois par an et nous avons donc deux cycles.
Nous pourrions penser qu'elle fasse deux récoltes. Ce serait trop simple et pas forcément bienvenu.
En fait le premier cycle qui va de Septembre à fin Janvier / Février est un cycle dit Energétique. Il va remplacer le repos végétatif que nous connaissons ici. Dès que les "raisins" apparaissent et avant leur floraison, puis leur grossissement nous les enlevons. Le cep n'est donc plus constitué que de sarments et de feuilles. Le challenge sur ce cycle qui, je vous le rappelle tombe en pleine saison des pluies est de maintenir un feuillage sain, exempt de maladie, notamment le Mildiou, véritable fléau dans cette région humide, de façon à ce que la plante fonctionne avec la photosynthèse, produise des nutriments, des oligo éléments... et mette en réserve non pas seulement dans ses racines mais dans tout le cep toute l'énergie nécessaire pour attaquer un second cycle.
Ce second cycle débute par une nouvelle taille et va se poursuivre jusqu'à la récolte fin Juillet / Août.
Nous avons donc deux cycles de 6 mois au lieu d'un de douze mois chez nous en Languedoc ou ailleurs dans le monde.
Mais le schéma reste le même: taille, débourrement (ouverture des bourgeons), premières feuilles, apparitions des grappes (inflorescences) Rq: c'est à ce moment là que nous les supprimons sur le premier cycle, floraisons, apparitions des grains et grossissement, véraison (changement de couleur, du vert vers le jaune pour les raisins Blancs, du vert vers le foncé pour les Rouges), puis maturation et, vendanges donc en hiver pendant la période sèche qui connait un différentiel de température jour/ nuit important (13 à 14 ° la nuit, 25 ° le jour) très qualitatif pour l'équilibre sucre donc alcool/ acidité.
Les vignobles sont implantés comme chez nous en Languedoc, avec des vignes palissées, écartements identiques sur la base de 4000 pieds / ha. Les rendements sont aussi comparables que ceux que nous avons sur nos Appellations 40 à 50 hls / ha pour produire des vins de qualités.
Les méthodes de vinifications sont quasiment les mêmes, l'oenologie moderne depuis Pasteur ayant fait ses preuves.
Pour l'instant et, à part les deux cycles, il y a peu de différence avec notre région et ce que nous connaissons.
En voilà quelques unes.
Sur ces états du Sud Est, sous climat tropical humide, les vignobles sont implantés en hauteur (de 900 m à 1300 m), le notre est à 1100 m. Ce qui sur notre vieux continent serait impensable. Une remarque, ce sont sur ces mêmes terroirs que sont aussi implantés les plantations de café dit spéciaux ou très haut de gammes.
Les sols sont granitiques avec un peu d'argile et des sables.
Peu de maladies à part bien sur le Mildiou (champignon qui prolifère avec la chaleur et l'humidité). Les autres maladies, sont rares ou inexistantes (Oïdium, vers de la grappe, maladie de bois.....) pourtant le Brésil est en proportion le plus grand consommateur au monde de produits phytosanitaire. Un grand challenge pour moi pour arriver au Bio, nous en sommes déjà au raisonnable.
Nous, nous avons les sangliers qui ravagent nos vignes, là bas ce sont les oiseaux (cyrielles, toucans...) et pour se protéger nous positionnons des filets de protections sur toute la partie des ceps où se trouvent les raisins.
L'ensemble de tous ces travaux se fait manuellement. Les précipitations importantes favorisent l'herbe et rendre les vignobles propres est un vrai défi. D'autant que l'herbe est un vecteur important de maladies fongiques.
Et même si le coût de la main d'oeuvre est au Brésil hélas faible, le prix de revient de ces vins est très cher et réservés à une clientèle aisée (prix consommateur de 160 à 50 Réals soit entre 35 et 100 €). Les deux cycles multiplient le travail par deux. A titre de comparaison si ici en Languedoc nous faisons sur une année normale en moyenne 7 à 8 traitements, il faut compter en moyenne aussi 16 à 18 traitements par cycles. D'où la nécessité de rapidement passer à une culture Bio pour avoir le moins possible de résidus dans les sols et dans les vins.
Nos vignobles sont millénaires. Sur cette région les vignes les plus âgées ont # 30 ans. Comment vont elles vieillir avec ces deux cycles?
Les premiers vignobles implantés et conduit de cette façon par les équipes de Murillo l'ont été sur la commune de 3 Coraçoes. En 2005 les premiers vins ont été mis sur le marché, la cuvée Estrella Réal, puis Guaspari. Mais vu les chiffres que je vous ai donnés ces vins là sont vendus dans leur totalité sur place. La aussi grande différence avec la France et même le Chili.
Aujourd'hui et, sur ces 5 états plus Brazilia ce sont une cinquantaine de producteurs, 350 ha plantés en Vitis Viniféra pour une production annuelle moyenne de 650 000 bouteilles.
Les projets se mettent en place et il y aura certainement dans quelques années un doublement ou un triplement du nombre de producteur, ce qui restera tout de même très modeste.
Merci pour votre écoute et, place aux questions."