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Rachid Benzine copy

 

 

Lettre lue :

                           « 23 août 2014

Nour, ma petite fille chérie qui n’est plus une petite fille,

Je t’aime, je t’aime, je t’aime.

Laissons nos égos et nos arguments, et n’écoutons que notre cœur. Pour un homme attaché comme moi à la raison, il est difficile de t’écrire cela, mais il le faut. N’écoutons pas nos raisons ! La tienne te chante les louanges d’un Etat islamique pourvoyeur de bonheur et de sérénité pour les peuples. La mienne me parle d’exécutions de masse, de tortures, de décapitations, de petites filles violées, de femmes lapidées, vendues en tant qu’esclaves sexuelles sur les marchés et qu’on négocie tel du bétail ; d’enfants de djihadistes qui abattent des hommes et des femmes à bout portant, d’opposants crucifiés ou enterrés vivants, d’homosexuels jetés du haut des immeubles, du rétablissement du statut de dhimmi et de l’esclavage, de minorités systématiquement éliminées ou spoliées : Yézidis, Shabaks, Turkmènes, chiites et chrétiens. De destructions et de pillage des œuvres d’art et des bibliothèques qui ont fait la richesse de nos peuples. Des jeunes déficients mentaux sont envoyés pour mourir comme des kamikazes…

Maintenant que tu vis au milieu des monstres et que tu en as même épousé un, que t’inspirent ceux-ci ? Qu’éprouves-tu quand ton époux rentre harassé le soir, après une dure journée de labeur où il a fait exécuter ou a tué de ses propres mains femmes et enfants, en invoquant bien entendu, une fatwa de son conseil de shoura ? Ce sont des doigts velus et crochus qui parcourent ta peau ? Une haleine fétide qui précède ses baisers ? Probablement pas. Et pourtant…

Ses idées nauséabondes ne suffisent-elles pas à générer en toi les spasmes du dégoût et de l’horreur ? Quand il s’avance vers toi, avide de ton corps, ne vois-tu dans ses yeux les femmes dont il a tu le regard maternel à jamais ? Et dans le sang qui bat dans son sexe, n’entends-tu pas les pleurs des enfants dont il a éteint les rires et les chants innocents ?

Sors-toi de ce cauchemar, Nour ! Sors-toi de ce piège ! Quitte ce mensonge et vomis à jamais le monstre qui te souille chaque soir, cela avant que le monstre qui sommeille en toi n’ait définitivement pris le dessus sur ton esprit et sur ton cœur, et n’ait volé ton âme. Ces êtres sont différents de toi. Ils sont un danger pour toi car ils peuvent te détruire à tout instant. Ils ne respectent rien de ce que tu es profondément. Rien des valeurs que tu incarnes aux yeux du monde qu’Allah a créé : la beauté, la bonté, la douceur, la délicatesse, l’amour, la bienveillance, l’empathie…

Voilà votre drame et le nôtre. Mais je ne veux pas parler davantage de ces arguments et des tiens : je t’invite à quitter notre raison pour nous retrouver, comme dans le passé, unis par nos cœurs. Te souviens-tu comment Tonton Daoud nous faisait rire avec ses histoires de Djeha ? Autour du feu, nous passions des heures à le regarder interpréter mille de ces contes jubilatoires. Ils prenaient avec lui des tournures épiques. Nous tremblions avec lui, hurlions de rire avec lui, pleurions aussi parfois. Ensuite, le feu éteint, au milieu de nulle part où il habitait avec Tante Djamila, nous contemplions les étoiles. Tu te blottissais contre moi et nous parlions des heures durant du langage des astres, des sagesses de Djeha, des facéties de Tonton Daoud. Et nous réécrivions l’histoire du monde, toujours composée de légendes et de réalité, de mauvaise foi et de vérité, de bêtise et d’intelligence, d’égoïsme et de générosité, de lâcheté et de grandeur. Et nous étions heureux…

Je t’embrasse très fort, ma Nour.

Je t’en supplie de toutes mes dernières forces : reviens au monde, mes bras seront toujours là pour toi. Pour accueillir tes joies et tes peines. Tes certitudes et tes doutes. Tes victoires et tes erreurs.

                                                                                                                      Avec le même amour.

                                                                                                                                     Papa »